Yves Guillemot défend avec conviction le modèle d’entreprise d’Ubisoft face aux questions du Sénat

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Face à la Commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques accordées aux grandes entreprises, le PDG d’Ubisoft a récemment présenté un plaidoyer passionné pour le maintien des dispositifs soutenant l’industrie française du jeu vidéo. Cette audition intervient dans un contexte particulier pour ce fleuron national qui fait face à plusieurs défis internes.

Un géant français à l’influence mondiale

Quand j’observe le parcours d’Ubisoft, je suis impressionné par sa trajectoire depuis sa création en 1986 en Bretagne. L’entreprise s’est métamorphosée en un acteur culturel majeur comptant aujourd’hui:

Données UbisoftChiffres clés
Salariés dans le monde17 000 personnes
Studios internationaux40 répartis dans 30 pays
Effectifs en FrancePlus de 4 000 salariés
Chiffre d’affaires 20232,3 milliards d’euros
Part des exportations95% du CA total

En tant que premier employeur du secteur vidéoludique français, Ubisoft symbolise ce « soft power à la française » qui rayonne mondialement grâce à des franchises emblématiques comme Assassin’s Creed, Just Dance ou Les Lapins Crétins.

Les aides publiques: transparence et efficacité revendiquées

Lors de son audition, j’ai noté qu’Yves Guillemot a détaillé avec précision les soutiens financiers dont bénéficie son groupe. Pour l’exercice 2023-2024, Ubisoft a reçu 38,4 millions d’euros d’aides publiques, réparties ainsi:

  • 24,1 millions d’euros issus du Crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV)
  • 3,6 millions d’euros via le Crédit d’impôt recherche
  • 3,2 millions d’euros d’autres crédits d’impôt (animation, mécénat, international)
  • 600 000 euros de subvention de la région Nouvelle-Aquitaine
  • Près de 6 millions d’euros d’allègements de charges sociales

Le dirigeant a souligné que ces montants demeurent stables comparativement aux années antérieures et qu’aucun financement européen n’a été perçu.

Un dispositif stratégique mais potentiellement menacé

Ce qui m’a frappé dans cette audition, c’est la vigueur avec laquelle Guillemot a défendu le CIJV, qualifié de mécanisme fondamental pour la souveraineté culturelle et technologique française. « C’est un levier de compétitivité essentiel face à la concurrence internationale », a-t-il affirmé devant les sénateurs.

Pour étayer sa position, il a énuméré plusieurs bénéfices concrets de ce dispositif:

  • Création d’emplois qualifiés sur le territoire national
  • Développement de studios en région
  • Phénomène d’essaimage entrepreneurial
  • Partenariats avec le monde académique et la recherche
  • Conception de technologies propriétaires françaises (moteurs de jeu, IA générative)

Face aux questionnements de l’Inspection générale des finances sur l’efficacité du CIJV, le patron d’Ubisoft a plaidé pour une évaluation rigoureuse avant toute réforme. Il a notamment souligné l’attractivité française face à des concurrents comme le Canada, Singapour ou l’Allemagne qui déploient des politiques agressives de soutien à l’industrie vidéoludique.

Des inquiétudes sur la stratégie et la gouvernance

J’ai remarqué que les échanges ne se sont pas limités aux aspects financiers. Plusieurs sénateurs ont exprimé leurs préoccupations concernant la récente réorganisation d’Ubisoft qui a conduit à la création d’une nouvelle filiale regroupant trois franchises majeures (Assassin’s Creed, Far Cry, Rainbow Six) dans laquelle Tencent, géant chinois du numérique, a acquis 25% des parts.

Si Yves Guillemot a assuré que la maison-mère conservait 75% du capital et gardait le contrôle décisionnel, certains élus comme Fabien Gay ont manifesté leur inquiétude quant à la pérennité de la souveraineté française sur ces actifs stratégiques.

Climat social tendu et débat sur le télétravail

Un autre sujet sensible a émergé durant cette audition: la situation sociale au sein d’Ubisoft. Pour la première fois dans l’histoire de l’entreprise, des mouvements de grève ont éclaté, notamment en réaction à la politique de réduction du télétravail imposant trois jours de présence sur site.

Le PDG a justifié cette décision par des impératifs de:

  • Cohésion d’équipe
  • Stimulation de la créativité
  • Efficacité des processus collaboratifs

Cette position a suscité des réactions mitigées parmi les sénateurs qui ont rappelé que les conditions de travail constituent également une contrepartie attendue aux aides publiques octroyées.

Des négociations qui tournent au « foutage de gueule »?

En approfondissant la question, j’ai découvert que le conflit autour du télétravail révèle des tensions profondes. Alors que la direction prônait une « co-construction » des solutions, les syndicats dénoncent « un processus biaisé » et un « foutage de gueule ».

Les principales critiques concernent:

  • Des obstruction durant les six mois de négociations
  • Des changements fréquents d’interlocuteurs RH
  • L’absence d’études d’impact sur les conséquences du retour au présentiel
  • Des critères flous pour les dérogations au télétravail

Si Ubisoft proposait initialement un taux de présence de 60%, l’entreprise a finalement assoupli sa position, autorisant jusqu’à 90% de télétravail dans certains cas. Cependant, la procédure d’attribution des dérogations reste contestée par les représentants du personnel.

Vers une fuite des talents?

Ce qui m’inquiète particulièrement, c’est le risque de départs massifs. Selon certaines sources internes, environ 25% des employés envisageraient de quitter l’entreprise si le télétravail à temps plein était abandonné. Une situation préoccupante pour un secteur déjà en tension concernant les profils spécialisés.

Les syndicats craignent également « une désorganisation des productions et une augmentation des risques psychosociaux », dans un contexte où de nombreux salariés ont reconstruit leur vie personnelle loin des bureaux durant la pandémie.

Un enjeu qui dépasse Ubisoft

J’observe que cette problématique n’est pas propre à Ubisoft. De nombreux acteurs de la tech amorcent un mouvement similaire de retour au bureau, parfois de manière encore plus radicale comme chez Amazon qui impose désormais 100% de présentiel.

La spécificité d’Ubisoft réside toutefois dans le fait que l’entreprise n’avait pas de culture du télétravail avant la pandémie mais avait complètement basculé vers ce mode de fonctionnement pour répondre à « une forte demande de jeux » durant le confinement.

Quelle vision d’avenir pour l’industrie française du jeu vidéo?

En conclusion, l’audition d’Yves Guillemot au Sénat illustre les enjeux multiples auxquels fait face aujourd’hui l’industrie du jeu vidéo en France – entre soutien public, compétitivité internationale, gouvernance et défis sociaux. Le maintien des dispositifs comme le CIJV apparaît crucial pour préserver la place de la France dans ce secteur culturel et économique stratégique, où Ubisoft défend son modèle d’entreprise tout en faisant face à des tensions internes sans précédent.

Si les récents succès d’Assassin’s Creed Shadows et la reconnaissance de Prince of Persia: The Lost Crown aux Pégases 2025 offrent des motifs d’optimisme, l’équilibre entre innovation, compétitivité et bien-être des collaborateurs reste un défi majeur pour Yves Guillemot et l’ensemble du secteur français du jeu vidéo.