Evenement : les créateurs récompensés à Paris : les discours

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Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

Bienvenue au ministère de la culture et de la communication, qui est d’abord celui de la création, de l’intelligence, de l’innovation, de l’invention, le ministère de tous les créateurs, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, de tous ceux qui contribuent à nous faire partager les fruits de leur talent et de leur travail, en contribuant à façonner nos rêves, nos imaginaires, en nous rappelant que la culture peut être ludique, qu’elle est aussi faite d’expériences, d’échanges, de jeux. Parce qu’ils sont des loisirs culturels produits par de véritables industries culturelles, parce qu’ils sont d’abord et avant tout des créations, des œuvres de l’esprit, il me paraît tout à fait naturel que les jeux vidéo aient droit de cité rue de Valois.

Tel est le sens que je souhaite donner à notre rencontre de ce midi, en l’honneur de trois créateurs passionnés, de trois démiurges modernes qui ont donné naissance à des personnages, à des mondes ludiques, à des univers oniriques, tout droit sortis de leur imagination, en entraînant dans leur sillage des dizaines, voire des centaines de millions de joueurs à travers le monde.

” L’art est un jeu entre tous les hommes de toutes les époques “, a écrit Marcel Duchamp. Les jeux vidéo, qui sont pratiqués dans le monde entier, font partie de notre quotidien (7 enfants et adolescents sur 10 en possèdent dans les pays développés). Bien loin des premières salles de jeu, dites d’arcades, qui ont vu leur essor dans les années 1980, les jeux vidéo se sont imposés comme une industrie culturelle importante pour notre économie, qui fait appel à de nombreux emplois qualifiés, qui mobilise des filières d’édition et de distribution, à l’instar du disque et de la vidéo, en irriguant beaucoup d’autres secteurs : je pense à l’animation, aux effets spéciaux dans le cinéma, mais aussi à bien d’autres innovations dans le domaine audiovisuel ou multimédia.

Je suis convaincu que la vitalité de notre pays dans le secteur des jeux vidéo est gage de sa capacité d’innovation, d’adaptation et de création.

Aussi ai-je tenu à rendre visite en octobre dernier à des entreprises performantes reconnues dans le monde entier, et j’ai accompagné le Premier ministre le 9 décembre dernier à Montreuil, où il m’a demandé de mettre en place un crédit d’impôt, en faveur des jeux vidéo, comme nous l’avons fait pour le cinéma et l’audiovisuel. Depuis, j’ai notifié notre projet à la Commission européenne et j’ai eu à ce sujet des entretiens très encourageants, en particulier avec Mme Nelly Kroes, commissaire européen à la concurrence.

Mais ce n’est pas de cela que je veux vous parler aujourd’hui. Nous sommes là pour rendre hommage aux créateurs et aux métiers de la création. Les trois personnalités que j’ai l’honneur de distinguer ont inventé de nouvelles façons de représenter notre monde. Ils sont donc particulièrement dignes d’entrer dans l’ordre des Arts et des Lettres, destiné – je cite le décret fondateur – ” à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire, ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde “.

C’est pourquoi je suis particulièrement fier aujourd’hui de recevoir le créateur culte Shigeru Miyamoto, mais aussi les acteurs éminents de la French Touch, Michel Ancel et Frederick Raynal, qui ont prouvé la vitalité de la création française, son inventivité et sa capacité de rayonnement mondial.

REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES A SHIGERU MIYAMOTO

Cher Shigeru Miyamoto,

Je suis particulièrement heureux et fier de vous accueillir aujourd’hui au ministère de la culture et de la communication. Vous avez atteint une telle notoriété auprès des joueurs, français et du monde entier, au cours de votre carrière, que vous faites l’objet d’un véritable culte aujourd’hui, au même titre que le personnage qui est sorti de votre imagination. On vous a qualifié de ” Spielberg du jeu vidéo “, mais aussi de bon génie de la création numérique nippone, les qualificatifs ne manquent pas à vos admirateurs pour décrire votre talent et votre créativité.

Créateur du célèbre plombier moustachu ” Mario “, qui a fait de la firme japonaise Nintendo un acteur majeur de la scène mondiale des jeux sur console, vous êtes aujourd’hui directeur général du développement et de la recherche de la firme, reconnue dans le monde entier.

Vous êtes né à Sonebe, petit village situé près de la ville impériale de Kyoto. Passionné dès l’enfance par le dessin, la musique et l’art des marionnettes, vous intégrez à 17 ans le ” Kanazawa Municipal Arts and Crafts College “. Vous y passez cinq années avant de décrocher votre diplôme, en 1974, de design industriel – au terme d’études auxquelles, vous le reconnaissez, vous avez souvent préféré vos activités ” annexes ” : écrire des bandes dessinées ou jouer de la guitare dans les cafés-concerts.

En 1977, vous faites une rencontre qui va changer le cours de votre vie. Hiroshi Yamauchi est le président de Nintendo. Il le restera pendant cinquante ans. Il est l’arrière petit-fils du fondateur de cette entreprise familiale, créée en 1889 pour vendre des cartes à jouer et qui fabrique cette année-là sa première console. Elle en a vendu depuis lors plusieurs centaines de millions, et plus de deux milliards de jeux. M. Yamauchi décèle chez vous une créativité et une originalité extraordinaires. Il vous engage comme directeur artistique, puis vous confie la conception d’un premier jeu. King Kong, vous inspire l’intrigue : le gorille apprivoisé d’un charpentier s’échappe et kidnappe une jeune femme. Donkey Kong est un jeu totalement novateur où apparaît pour la première fois un petit personnage, Jumpman, affublé de gants, d’un gros nez et d’une moustache. Le jeu connaît un grand succès et l’ancêtre de Mario est né.

Son descendant ne tarde pas à apparaître : le petit personnage devient plombier, il prend la nationalité italienne, le nom de Mario, et tient la vedette, avec son frère Luigi, dans Mario Bros, un jeu d’arcade qui connaît un succès immédiat, ce qui vous conduit à prendre la tête du département Jeu créé en 1984 et vous vaut le titre mondialement reconnu et convoité de game designer, autrement dit de créateur de jeux, de génie.

Mario devient votre jouet fétiche et vous en développez des suites toutes plus riches et ingénieuses les unes que les autres : Super Mario Bros décline la quête du héros sur plusieurs niveaux, et le formidable Super Mario Bros 3, reste encore aujourd’hui un jeu de plate-forme culte, incroyablement riche et long, aux multiples ressorts et secrets.

Avec l’arrivée des jeux en trois dimensions, vous réussissez le tour de force d’adapter vos créations à ce nouvel univers, avec un Mario 64 qui offre aux joueurs des possibilités d’action insoupçonnées et une liberté de mouvement exemplaire.

Vous êtes également le père de La Légende de Zelda, autre saga culte qui met en scène le jeune Link, chargé de sauver le royaume d’Hyrule des ténèbres et de protéger la princesse Zelda des griffes de Ganondorf. Les aventures de votre héros connaîtront un grand succès en deux dimensions et son triomphe en trois dimensions va inspirer nombre de développeurs, fascinés – entre autres inventions – par vos nouvelles techniques de combat. Parmi vos succès les plus récents, je citerai Pikmin, jeu très créatif, et Nintendogs.

En parallèle à vos fonctions multiples d’auteur et de concepteur de jeu, de chef de projet, de musicien, vous vous impliquez également dans le développement des consoles de la firme Nintendo, et en particulier des manettes, pour favoriser une meilleure sensation du jeu par les joueurs !

C’est à cette formidable inventivité dans la confrontation entre la création artistique et les nouvelles technologies, c’est à l’ingéniosité de l’artiste dans la conception d’univers numériques originaux, que je souhaite particulièrement rendre hommage aujourd’hui. Vous êtes l’un des meilleurs ambassadeurs de cet univers planétaire et l’une de ses personnalités les plus attachantes. Ce sont aussi les liens féconds d’amitié entre nos deux pays que nous célébrons aujourd’hui, des liens fondés sur nos capacités de création et d’innovation, car vous incarnez le succès de certaines valeurs partagées par la France et le Japon, et notamment l’esprit d’invention et la volonté de coopération.

Shigeru Miyamoto, au nom de la République, nous vous remettons les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES A MICHEL ANCEL

Cher Michel Ancel,

Les contes et les légendes des pays que votre père traverse au fil de sa carrière militaire bercent votre enfance et nourrissent votre imagination. Adolescent, vous jetez l’ancre à Montpellier, où vous découvrez l’univers des jeux vidéo, qui vous passionnent. Vous commencez très tôt votre carrière, en devenant programmeur de démonstrations graphiques, demomaker. Un concours de jeunes créateurs vous ouvre, dès l’âge de 17 ans, les portes d’Ubisoft, où vous êtes engagé comme graphiste et participez au développement de plusieurs jeux tels que The Intruder ou The Teller.

En 1992, vous ressortez un ancien croquis d’adolescent, un personnage ” en pointillé “, sans bras ni jambes, aux poings et aux pieds flottants. Trois ans plus tard, Rayman sort sur Atari Jaguar puis PlayStation. Votre héros évolue avec une grande fluidité et plasticité, la richesse du graphisme et du scénario projettent le joueur dans un univers très poétique, où les personnages sont tous affublés de noms étranges : il y a Le Grand Protoon, Betilla la Fée, Mister Dark, Skops. En 1999, sort Rayman 2, The Great Escape, ainsi que le jeu de plates- formes Tonic Trouble.

Rayman devient très vite une mascotte d’Ubisoft, une icône au même titre que Mario ou Sonic, et l’un des jeux vidéo les plus connus et les plus vendus au monde.

Avec Beyond Good & Evil sorti en 2003, vous donnez une inflexion plus ” politique ” à votre univers de jeu : l’héroïne principale, Jade, dont la voix est doublée par Emma de Caunes, est reporter photographe et doit révéler la conspiration qui se trame sur sa planète Hyllis. Original et engagé, votre jeu reçoit les applaudissements de la critique et vous vaut l’estime de Peter Jackson, qui vous a confié le soin de créer un jeu d’après le film King Kong.

Selon votre habitude, vous avez su dépasser le cadre de la simple adaptation pour faire de ce partenariat ponctuel avec le cinéma une rencontre riche entre le joueur et l’animalité fauve du grand singe, magnifiquement rendu à l’écran grâce aux toutes dernières techniques haute définition. Vous avez livré un jeu fin et complexe fondé sur un véritable écosystème virtuel, qui permet de multiples combinaisons. Vous avez voulu – je vous cite – ” donner au joueur le sentiment d’un monde organique, biologique, avec des règles, des liens entre les ennemis, les personnages, l’environnement. ” Le résultat est effectivement stupéfiant.

Les nouveaux récits modélisés que vous avez contribué à inventer se fondent sur un principe d’immersion dans la fiction, qui favorise l’aléatoire, au sein d’un cheminement singulier. Vos créations permettent un niveau très élevé d’analyse, car jouer c’est avant tout analyser en permanence la situation, le danger, le rapport aux autres joueurs, et agir en fonction.

Vous avez marqué durablement de votre empreinte l’univers du jeu vidéo en donnant naissance à des personnages forts, à des mondes complexes, subtils, et vous avez contribué à la reconnaissance internationale de la compétence, de l’innovation et de l’imaginaire débridés de la ” French touch “.

Michel Ancel, au nom de la République, nous vous faisons chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES A FREDERICK RAYNAL

Cher Frédérick Raynal,

Ce midi vous n’êtes pas seul. Et vous êtes en pleine lumière. Génie précoce, figure majeure, avec Michel Ancel, de la French touch, vous avez durablement révolutionné l’univers du jeu vidéo, en lui donnant ses lettres de noblesse.

” J’ai toujours aimé construire des choses “, avez-vous déclaré. Passionné de la première heure, à douze ans déjà, vous prenez des cours d’électronique par correspondance pour construire des gadgets avec des diodes électroluminescentes et des haut-parleurs. Puis, avec votre premier ordinateur, vous créez votre premier programme : le jeu Laser, dont vous concevez vous-même le boîtier.

Votre père tenait un magasin d’ordinateurs, au début des années 1980, un fantastique laboratoire d’expérimentation pour vous ! Vous fabriquez en une semaine, pour vous amuser, votre premier jeu commercial, Robix 500, que vous emballez vous-même. Vous en vendrez 80 exemplaires.

La journée, vous travaillez au magasin de votre père et la nuit vous créez vos propres jeux. Popcorn naît pendant cette période et son succès prend rapidement une ampleur inespérée : le jeu traverse le monde entier et votre nom avec. A 22 ans, vous croisez la route du patron d’une jeune société d’édition en pleine expansion, Infogrames.

En 1992, Infogrames lance Alone in the Dark, votre création, qui bouleverse durablement l’univers du jeu vidéo en mêlant les genres du jeu d’aventure et du film d’horreur.

Nous sommes en 1920 : le propriétaire du manoir de Derceto a été retrouvé pendu dans son grenier. Le joueur, Edward Carnby, décide de mener l’enquête. Au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans la sinistre demeure, les portes se referment derrière lui, le plongeant dans le noir et le confrontant à mille dangers. Un graphisme excellent, le premier en trois dimensions, une bande-son fantastique, un suspense haletant, une atmosphère oppressante, portée à son paroxysme par des créatures inquiétantes et des angles de caméra soigneusement étudiés, c’est un choc pour toute la communauté des joueurs. Vous ouvrez des horizons insoupçonnés, à tel point que les jeux qui reprendront ensuite ces codes seront dits ” à la Alone in the dark “.

Après ce succès vertigineux, vous fondez en 1993, avec le producteur Paul de Senneville, Adeline Software International, qui sera racheté quatre ans plus tard par SEGA pour devenir No Cliché, et développer des jeux pour Dreamcast. Vos nouvelles créations, Little Big Adventure (à nouveau, un immense succès), Time commando, Little Big Adventure 2 et Toy Commander, allient l’exploration de mondes oniriques et des scénarios riches en aventures et en personnages.

Vous avez su donner au jeu vidéo la place qu’il occupe désormais au sein de la création vivante, entre le cinéma et les autres arts, en repensant l’intégration du spectateur-acteur dans le récit qui se joue, au sein des ambiances déroutantes, des intrigues palpitantes, que vous avez créées, servies par de véritables prouesses techniques, que je tiens à saluer.

Frédérick Raynal, au nom de la République, nous vous faisons Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

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